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— Je l’ai prévu, sa mère va s’en emparer… Au reste, il est libre… et ce n’est pas moi qui exigerai aucun sacrifice de sa part.

En disant ces mots, madame de Verseuil sonna le vieux Picard, et lui dit de se rendre chez son homme d’affaires et chez quelques autres personnes de sa connaissance pour les engager à venir la voir dans la journée. Je remarquai dans la liste qu’elle donna, le nom de Salicetti qui se trouvait alors à Paris, et je pensai que Gustave ne le rencontrerait pas sans beaucoup d’humeur chez madame de Verseuil ; cependant il était destiné à subir cette contrariété le soir même. Sa mère avait réuni plusieurs personnes empressées de fêter son retour ; il s’arrache à ses amis, et vole chez Athénaïs l’âme remplie des plus tendres sentiments ; mais à la vue de Salicetti assis près de la cheminée, et paraissant établi comme quelqu’un qui vient passer la soirée chez une ancienne amie, Gustave sentit ses sentiments si doux se changer en amertume. Il aborda madame de Verseuil d’un air contraint, salua froidement M. Salicetti ; puis après quelques mots échangés sur la prise de Mantoue, le dégel, la réception des drapeaux qui devaient avoir lieu le lendemain au Luxembourg, sur les doux moments passés en Italie, Gustave se retira ne pouvant dissimuler plus longtemps son humeur jalouse.

Il revint chez sa mère, et comme il ouvrait la porte du salon, quelqu’un s’écria :

— J’étais bien sûr qu’il rentrerait de bonne heure !

En disant ces mots, M. de Saumery s’élança dans les bras de Gustave, et le plaisir d’embrasser le vieil ami de sa famille fit un moment diversion aux tristes idées qui l’occupaient.

— Ne vous l’avais-je pas prédit, ajouta M. de Saumery en s’adressant à madame de Révanne, qu’il reviendrait bien portant, couvert de gloire : avec son caractère obstiné, audacieux, la passion pour les périls, il fallait qu’il se fît tuer ou qu’il devînt un César ; il avait tous les défauts qui font un grand homme. Mais qu’est-ce que j’entends dire partout ? L’on prétend qu’il est la terreur des ménages, qu’il enlève les femmes à leur mari, qu’elles l’adorent tout haut, et vont jusqu’à s’empoisonner pour lui ; enfin, dans l’impossibilité de nier ses suc-