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ainsi, l’on se sent trompé, l’on se voit mentir, sans qu’indigné de tant de perfidie, le cœur s’affranchisse de son humiliant servage ? Ah ! la puissance qui nous soumet sans nous aveugler est la seule invincible ; et l’on est tenté de croire que les êtres qui la possèdent la tiennent de l’enfer : car les supplices qu’elle impose sont aussi éternels.

Heureusement pour Gustave, les fatigues de la guerre faisaient diversion à ses chagrins d’amour. Affermie et augmentée par ses dernières conquêtes, l’armée française, rassemblée autour de Mantoue, recommençait le siége de cette ville. Chaque jour amenait de nouvelles affaires qui, sans être décisives, n’en étaient pas moins brillantes. Enfin, après avoir planté de sa propre main le drapeau français sur le pont d’Arcole, Bonaparte allait terminer la campagne par un dernier miracle.

Le général Verseuil venait de recevoir l’ordre de marcher avec Masséna sur Rivoli. Les Autrichiens ne pouvant plus tenir dans Mantoue, on devait s’attendre à une tentative désespérée de leur part, et le général en chef, en quittant Vérone le 15 janvier, n’avait pas dissimulé à ses troupes que ce qu’il leur restait à faire était encore au-dessus de tout ce qu’elles avaient déjà fait. Ainsi prévenu, chacun s’occupait de ses dispositions : les uns écrivaient des lettres d’affaires ; d’autres, frappés de tristes pressentiments, traçaient de funèbres adieux. Les amis se confiaient leurs dernières volontés, en cas de malheur. Les amants se juraient de s’aimer au delà du tombeau. Enfin tous s’abandonnaient à l’inquiète prévoyance qui précède les grands événements.

Dans ce moment solennel, Gustave pouvait-il ne pas adresser à sa chère Athénaïs les plus touchants adieux, et pouvait-elle se dispenser d’y répondre ? Non ; l’amour exigeait cette preuve de tendresse, ce gage dangereux qui devait servir à les perdre.

Depuis quelques mois, un certain baron Marcelli venait assidument chez madame de Verseuil. Il s’était fait présenter par un grave magistrat de Vérone, et ses manières étaient celles d’un homme habitué à vivre dans le grand monde. Il fut bien accueilli du général Napolitain d’origine, intrigant de son