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VI


Peu de jours après mon installation, je vis entrer Gustave dans mon appartement, fermant les portes avec violence, et donnant tous les signes de la plus grande agitation.

— Faites seller mes chevaux, me dit-il brusquement, je ne puis rester plus longtemps dans cette horrible incertitude. Je veux partir.

— Est-ce pour la chasse, ou bien dois-je suivre monsieur ?

— Certainement il faut me suivre, et peut-être au bout du monde ; car je suis décidé à fuir le caprice et l’insensibilité partout où je les trouverai.

— Si ce n’est que pour cela, monsieur sera bientôt convaincu de l’inutilité du voyage.

— Tu crois plaisanter, Victor, ajouta-t-il, avec ce ton familier que les maîtres savent si bien allier à des airs protecteurs ; mais je t’en fais ici le serment ; jamais je ne serai le jouet d’une coquette.

— Auriez-vous eu déjà le malheur d’en rencontrer une ?

— Vraiment j’en ai peur ; et tout me prouve en ce moment qu’on s’est amusé à me tourner la tête, sans autre motif que de se divertir des premières impressions d’un cœur franc et dévoué.

— Ce n’est pas, j’imagine, la mélancolie de madame de Civray que vous accusez de cette espièglerie ?

— Justement, c’est elle à qui j’en veux de m’avoir laissé croire que cette belle mélancolie pouvait être causée par le regret de s’être marié trop tôt, ou de m’avoir connu trop tard. J’ai malgré moi conçu des espérances qui n’auraient rien coûté à son bonheur, mais qui faisaient le charme de ma vie. Un mot d’elle vient de les détruire pur toujours.

— Et ce mot est, je gage :

« Non, Gustave, je ne dois pas vous aimer, je ne vous aimerai jamais. »

— Quoi ! tu nous écoutais donc !