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— Ma foi, monsieur, cela ressemble à de l’inspiration, répondis-je en riant ; mais comme il n’est pas nécessaire de seconder celle-là, envoyez Bernard vers ces gens qui travaillent là bas ; qu’il les questionne, et revienne ensuite répéter au général ce qu’ils auront dit.

Ce conseil fut suivi ; et, comme je l’avais prévu, M. de Verseuil nous dit bientôt après qu’il fallait retourner sur nos pas.

— Vous aviez bien deviné, ajouta-t-il en s’adressant à mon maître, et j’aurais dû vous en croire.

Jamais on ne vit quelqu’un plus confus d’avoir raison que ne le parut alors Gustave ; mais pendant qu’il se félicitait d’avoir échappé au malheur de trahir le secret de son voyage, d’autres piéges l’attendaient. Ce même aide de camp de Masséna, dont nous avions eu tant de peine à nous débarrasser la veille, avait été choisi par son chef pour aller au-devant du général de Verseuil. On peut juger ce qu’éprouva Gustave en apercevant ce maudit officier au milieu des grenadiers dont il s’était fait accompagner. Certain qu’il allait en être reconnu ; que l’aide de camp ne manquerait pas de lui demander pourquoi, s’étant fait annoncer la veille chez Masséna, il ne s’y était pas présenté ; et qu’il s’empresserait d’ajouter à cet obligeant reproche le récit de tout ce qui s’était passé à la porte de Vérone, Gustave aurait bien voulu se soustraire à ses regards ; mais la chose était impossible ; et d’ailleurs son absence n’aurait que mieux engagé l’officier à se vanter du service qu’il lui avait rendu. Tout bien considéré, il fallait que cet homme fût délateur ou complice ; et, de ces deux rôles, Gustave n’hésita pas à lui choisir le plus noble. En conséquence, il mit son cheval au grand galop, s’arrêta près de l’officier, lui prit cordialement la main, et dit :

— Une affaire d’honneur m’a conduit hier secrètement ici : je serais perdu, si mon général venait à l’apprendre ; donnez-moi votre parole, camarade, de lui laisser ignorer que vous m’ayez vu.

— Je vous la donne, répond l’officier d’un air important. Je connais ces sortes d’affaires. Les chefs n’en doivent rien savoir, et vous verrez si je suis discret.