— Non ; tu l’as dit : son ombre nous sépare…
— Eh bien, que le remords nous unisse !
Et le ciel qui punit les coupables amours exauça ce vœu terrible !
LIII
Le soleil éclairait déjà les rues de Vérone, et, assis sur la porte de notre auberge, je commençais à m’inquiéter de ne pas voir revenir mon maître ; mais j’entends marcher précipitamment, c’est lui. Je le regarde avec curiosité ; il détourne les yeux, et dit :
— Partons ; je n’ai pas un instant à perdre pour arriver à Peschiera à l’heure de la revue.
Et il s’empresse d’aller vers les gens de la maison, bien moins pour leur donner des ordres que pour me cacher la joie qui brille sur son visage. Pendant qu’on selle nos chevaux, nous déjeunons ; Gustave paie tout ce qu’on lui demande, donne pour boire aux garçons de l’auberge, aux lazzaroni de la place. Enfin, nous partons, et bientôt je le vois saluer d’un regard reconnaissant les remparts de Vérone.
Obligés de laisser souffler nos chevaux à moitié chemin, nous nous arrêtâmes près d’un pavillon dépendant d’une de ces maisons de Plaisance, que les Italiens appellent villa. Le son d’une voix accompagnée par la guitare nous avait attirés vers cet endroit, où l’ombrage de quelques vieux arbres et la fraîcheur d’une source limpide engageaient à se reposer. Après avoir mis pied à terre, et fait boire nos chevaux, nous nous étendîmes sur l’herbe ; et, bercés par les doux accents qui sortaient du pavillon, nous étions prêts à nous endormir, lorsque, après avoir terminé l’étude d’un rondo brillant, cette voix commença à chanter le délicieux nocturne de Crescentini : Non v’è più barbaro, di che non sento. À peine les premières mesures de cet air eurent-elles retenti aux oreilles de Gustave, que, se levant tout à coup comme frappé d’une apparition, il s’écrie :
— Stephania ! Stephania ! ne l’as-tu pas entendue ?