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soutenue par un bras charmant, et les yeux fixés sur une lettre qu’elle relisait à la lueur d’une lampe d’albâtre. À l’aspect de cette femme séduisante, dont les formes gracieuses, la tunique blanche, la résille antique, rappellent ces beautés dont raffolaient les sages de la Grèce, Gustave se crut transporté dans le séjour des délices, et près de l’objet enchanteur qu’avait si souvent rêvé sa jeunesse. Dans le délire que cette illusion lui cause, il se précipite aux pieds d’Athénaïs, comme on se prosterne devant la divinité qu’on adore. Surprise, et presque irritée de voir ainsi Gustave à ses genoux, madame de Verseuil veut s’éloigner ; il la retient. Alors, prenant un air digne :

— Vous m’avez cruellement offensée, dit-elle, et je conçois le repentir que vous en éprouvez. Mais soyez moins humble, ajouta-t-elle en souriant, et tâchez d’écouler ma justification.

— Je ne veux pas l’entendre.

— Quoi ! vous accueillez, sans hésiter, la calomnie, et vous refusez d’entendre la vérité ! C’est avoir deux fois tort ; et vous voulez qu’on vous pardonne ?

— Non, ce n’est point mon pardon qu’ici je viens chercher ; j’y viens déposer aux pieds d’Athénaïs mon cœur et ma vie. J’y viens abjurer tout serment qui m’enlèverait à elle, à mon amour, au seul être pour qui je respire ; j’y viens chercher le prix ou la fin de mes souffrances.

— Qu’entends-je ? est-ce l’amant de Stephania, qui ose tenir un semblable langage, de cette Stephania dont la mort le rendait inconsolable ? Gustave, revenez à vous ; le regret vous égare !

— Ah ! dis plutôt l’espoir ; oui, je le sens ; ma raison m’abandonne ; mais pouvais-je te voir et la conserver !

— Gustave… est-il possible, vous que je croyais mon ami, vous que j’aurais imploré contre vous-même ! Oh ! ciel, vous me trompiez !…

Et Athénaïs se voila le visage.

— Oui, je te trompais, je m’abusais moi-même, quand je te jurai que ce cœur, accablé de douleur, était mort à l’amour ; je te trompais, lorsque, m’offrant le secours de ton amitié, j’acceptai ce bien que je déteste. Oui, je puis être ta victime, ton persécuteur, mais non pas ton ami.