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— Malheureusement c’est le contraire, reprit Gustave en soupirant, et chacun s’étonne qu’avec le bon esprit et toutes les qualités de ma mère, elle se laisse aller à des préventions aussi injustes. Alméric est étourdi, j’en conviens ; mais loin d’avoir le cœur sec, comme on le prétend, il est généreux, bon camarade, et toujours en train de se divertir. On lui fait un crime d’avoir dérangé les ménages de quelques vieilles coquettes de cette province, comme si ces dames l’avaient attendu pour tromper leurs maris, et qu’il dût expier le tort de les avoir séduites par le malheur de les garder. Vraiment c’est trop exiger de la vertu d’un homme de vingt ans, et j’ai besoin de me rappeler sans cesse les perfections de ma mère, sa tendresse envers moi, pour lui pardonner la défense qu’elle m’a faite de continuer mes liaisons d’amitié avec Alméric.

— Cette défense ne tient peut-être qu’à quelques tracasseries de voisinage, dis-je en vrai courtisan ; et madame n’y attache probablement pas assez d’importance pour que vous ne puissiez l’éluder sans inconvénients

— C’est bien aussi ce que je fais, reprit Gustave, enchanté de me voir approuver d’avance un tort dont l’aveu gênait son respect filial, et je vous demanderai sur ce point une discrétion nécessaire au repos de ma mère ; elle mérite bien que je mette tous mes soins à ne le pas troubler ; mais je lui ai si souvent entendu dire que la perte d’un ami ne se réparait point, qu’elle m’excusera un jour d’avoir osé lui désobéir pour me conserver le meilleur ami de mon enfance.

L’approbation la plus générale de ma part termina cet entretien, qui, tout en m’apprenant que ma place avait tenu à bien peu de chose, me confirmait dans l’espoir de la garder longtemps. Je me retirai très-content de mon début, car j’avais acquis en cette seule journée tout ce qui fait le crédit des gens en place : le secret du maître.