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je t’aurais traité comme son mari, et tu la croirais encore une vestale : mais tu n’as pas de confiance envers tes camarades ; aussi l’on ne te cache rien.

Alors les plaisanteries redoublèrent sur madame de Verseuil et mon maître. S’en fâcher eût été convenir du sentiment dont on se moquait, et Gustave prit le parti de se contraindre assez pour rire avec les autres de ce qui les divertissait tant ; mais comme cette conversation lui était au fond très-désagréable, il la détourna en plaisantant à son tour J…[1] sur ses amours ; et quitta cette réunion bruyante dès qu’elle voulut bien ne plus s’occuper de lui. Quand je le vis revenir de ce déjeuner joyeux, il avait un air si mécontent, que je lui demandai s’il avait reçu quelque mauvaise nouvelle.

— Aucune, me répondit-il avec impatience ; mais il fait une chaleur insupportable. Je suis accablé de fatigue, et je vais me reposer. Si le général me demande, tu viendras m’avertir.

C’était me congédier en m’imposant silence. Je devais obéir ; mais, emporté par mon zèle, et craignant que Gustave ne souffrit davantage de sa blessure, j’insistai pour lui offrir mes soins. Alors il me répondit avec tant d’humeur, et m’ordonna si durement de le laisser tranquille, que je m’éloignai en déplorant, sans le connaître, le motif qui pouvait altérer ainsi la bonté de son caractère.



LI


Nous étions au mois d’août sous l’influence d’un soleil brûlant, et l’air qui s’exhalait des marais de Mantoue commen-

  1. Lors de la construction d’une batterie que Napoléon ordonna à son arrivée à Toulon, il demanda sur le terrain un sergent ou un caporal qui sût écrire ; quelqu’un sortit des rangs, et écrivit sous sa dictée sur l’épaulement même. La lettre à peine finie, un boulet la couvre de terre. « Bien ! dit l’écrivain, je n’aurai pas besoin de sable. » Cette plaisanterie, le calme avec lequel elle fut dite, fixèrent l’attention de Napoléon, et firent la fortune du sergent. C’était J… (Mémorial de Sainte-Hélène.)