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asile, et s’était engagée à doter la charmante Lydie, le jour où il se présenterait un parti convenable. Le marquis, sans mettre opposition à la générosité de sa femme, ayant désiré qu’elle tournât au profit des siens, choisit un de ses cousins pour épouser la dot et la nièce. Le chevalier de Civray, cadet de famille, s’estima fort heureux de s’assurer, par un moyen si doux, la protection et peut-être l’héritage de madame de Révanne, mais à peine marié, il se vit contraint de quitter sa jeune femme pour suivre son cousin en Allemagne. Le caractère jaloux du chevalier ne l’aurait jamais porté à prendre une semblable résolution, si le marquis ne lui avait persuadé qu’on ne pouvait rester en France sans se déshonorer. Quatre ans s’étaient écoulés depuis cette époque, pendant lesquels madame de Civray avait vécu, soit chez sa tante, soit chez sa belle-mère qui venait de mourir. C’était pour aller lui prodiguer tous les soins d’une tendre fille que Lydie avait quitté précipitamment le château de Révanne ; et c’était pour avoir consacré tout son argent à une bonne action, qu’elle y revenait par la voiture publique.

Mon attention à écouter ces détails, et plus encore les éloges que je donnai à la conduite de madame de Civray me placèrent au premier degré dans l’esprit de mon maître, qui me dit franchement :

— Je m’étais trompé sur votre compte, Victor ; sachant que ma mère avait mis tous ses gens en campagne pour me découvrir une espèce de Mentor déguisé en valet de chambre, je m’attendais à quelque vieux personnage bien pédant, que, dans mon premier mouvement, j’avais projeté d’envoyer au diable, si un de mes amis, que vous connaîtrez bientôt, et qui mérite toute ma confiance, ne m’avait conseillé de le bien recevoir, par condescendance pour ma mère, quitte à lui rendre ensuite mon service si désagréable qu’il fût contraint à demander lui-même son congé, avant la fin du mois.

— L’idée était fort bonne, répondis-je d’un air sérieux, et conciliait à merveille le respect dû aux volontés de madame votre mère, et le désir Lien naturel de vivre aussi libre que tous les jeunes gens de votre âge. Madame la marquise doit se féliciter de vous avoir livré à de si bons conseils.