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cia presque de ceux que je prodiguais à mon maître, et ne me quitta qu’après m’avoir fait promettre de lui porter chaque jour secrètement de ses nouvelles.

J’espérais trop de cet entretien pour en dire un mot à Gustave ; et lorsque je lui lus le lendemain soir la liste des personnes qui s’étaient fait écrire chez lui, je me gardai bien de prononcer le nom de madame de Verseuil ; il n’en fit pas la remarque, et m’ordonna seulement de préparer tout ce qu’il lui fallait pour s’habiller. Je lui représentai vainement qu’il était encore bien faible pour marcher. « Tu as raison, » me dit-il, et il envoya louer une voiture ; deux heures après, elle s’arrêta sous le portique del Foppone, et je fus frappé d’admiration à la vue de ce beau monument.

— C’est là, dit Gustave en levant sur ce portique des yeux brillants de larmes…

Et l’émotion l’empêcha de continuer. Je le conjurai de rester encore quelques instants dans la voiture pendant que j’irais parler au gardien des tombeaux ; je lui sauvai par là l’impatience d’entendre les discours de ces hommes qui, vivant des produits de la mort, en parlent comme d’un événement ordinaire, et vous font souvent, sans nulle méchanceté, les questions les plus barbares. Celui auquel je m’adressai ne m’en épargna aucune. Il fallut lui expliquer comment le docteur Corona avait fait remettre à mon maître la clef du caveau qu’il venait visiter. Il fallut faire passer Gustave pour un parent de madame Rughesi, qui venait accomplir un vœu dicté par elle ; toutes ces raisons ne lui paraissant point encore suffisantes pour nous permettre l’entrée des tombeaux, j’eus recours au moyen le plus simple ; et, glissant un ducat dans la main du gardien, je le priai de ne pas venir troubler la douleur de mon maître.

Bientôt après, Gustave, appuyé sur mon bras, traversa la riche colonnade qui conduit à un escalier de marbre noir d’où l’on descend dans les souterrains. Là, notre conducteur ouvrit la porte d’une grille ; et, nous montrant un long corridor, bordé de chaque côté par des chapelles servant de sépulture, il nous dit :

— Vous voyez bien là bas tout au bout du souterrain ces