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cacher mon trouble, je sentais bien qu’il ne pouvait échapper à l’observation de mon maître. Cependant il n’osait m’en demander la cause, et j’aurais pu croire qu’il n’avait point remarqué ma sombre tristesse, si je n’en avais vu le reflet dans ses yeux.

Pour nous rendre chez le commandant de la place, il fallait suivre la rue qui conduit à la cathédrale, et là, nous fûmes arrêtés dans notre marche par une foule immense qui se portait du côté de l’église. En voyant ainsi courir le peuple, nous pensâmes qu’il s’agissait du supplice de quelques rebelles dont cette même populace avait sans doute encouragé la révolte ; mais la vue d’une croix et d’une bannière sainte, qui, dominant la foule, s’avançait lentement, nous frappa tout à coup d’une idée sinistre.

— Accourez donc, criait-on près de nous ; on dit que cela est magnifique ; il y a deux cents pauvres, et plus de mille cierges !

Ces discours redoublant ma terreur, je proposai à mon maître de tourner bride pour prendre une autre rue, qui, moins embarrassée, nous mènerait plutôt à notre destination ; mais, loin de m’écouter, il pressa le pas de son cheval au risque d’écraser quelqu’un, et ne s’arrêta que lorsque la voix d’un garde, posté près de l’église, lui cria : On ne passe pas. Alors, se soumettant à la consigne, il vit défiler un grand nombre d’enfants de chœur qui psalmodiaient tout bas l’office des morts. Venait ensuite le cortége des pleureurs, qui, tous revêtus d’un manteau de serge noire, portaient à la main une torche funèbre ; éclairés par cette triste lumière, s’avançaient à pas lents tous les prêtres de la cathédrale. Les vieillards et les dix vieilles religieuses, appelés autrefois l’école de Saint-Ambroise, habillés de noir, et suivant l’ancien costume, portaient les livres saints et les attributs sacrés confiés à leur garde. Ils précédaient l’image de la vierge, qui s’élevait au-dessus d’un groupe de femmes voilées. Toutes portaient des branches d’orangers. À la vue de ces rameaux fleuris, au parfum qu’ils répandent, Gustave frisonne ; mais les chants redoublent, le lit funèbre approche, une femme parée y repose ; et ce riche vêtement qui la couvre, cette guirlande de myrte