moins sensible des hommes n’aurait pu contempler sans émotion ce beau visage où les traces de la douleur se mêlaient au sourire de la confiance ! Il semblait que, ravie par l’amour au désespoir et à la mort, elle renaissait, à l’abri de tous les maux, protégée par l’objet qu’elle adore : il y avait dans son gracieux abandon un sentiment de son bonheur présent qui répandait un charme divin sur toute sa personne ; on eût dit qu’à travers le sommeil paisible qui lui apportait l’oubli de ses souffrances, son cœur seul veillait encore pour savourer le plaisir de reposer entre les bras de son amant.
Hélas ! il fallait s’arracher à ce touchant tableau, et profiter de ce moment de sommeil pour s’éloigner de Stephania. Avec quel tremblement Gustave déposa cette tête charmante sur le bras qui devait remplacer le sien ! Avec quelle sollicitude il remit ce précieux fardeau aux soins de Léonore ! Que de fois il revint pour la contempler de nouveau, pour l’embrasser, l’arroser de ses larmes ; ah ! son cœur était digne alors du pardon de sa victime !
Après s’être éloigné avec tant de peine de la chambre de Stephania, Gustave ne voulut pas rester un moment de plus dans sa maison, et nous montâmes à cheval sans dire adieu à personne. Je crus que, devant partir avec M. de Verseuil, Gustave allait se rendre chez Athénaïs ; mais il envoya Germain prévenir le général qu’il l’attendait à la porte de Rome, et nous prîmes silencieusement le chemin qui devait nous y conduire.
En sortant de cette ville de plaisirs, je ne pus m’empêcher de récapituler les chagrins que mon maître y avait soufferts, et je maudis de bon cœur les succès qui le rendaient si triste. Le général nous rejoignit bientôt, et je l’entendis reprocher à Gustave de n’être point venu faire ses adieux à madame de Verseuil.
— J’étais fort occupé, répondit-il d’un air embarrassé, et j’espère que vous voudrez bien m’excuser auprès d’elle.
— Ah ! je l’avais un peu préparée à cette négligence, reprit le général ; elle se doutait bien que les devoirs de l’hospitalité vous occuperaient tout entier ; mais, à propos, comment avez-vous laissé madame Rughesi ce matin ?