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abandon subit, inexplicable. Sa situation ne mérite pas moins d’égards que celle de madame Rughesi. Rappelez-vous que, sans cesse sous les yeux d’un mari méfiant, la moindre inconséquence peut la perdre.

— Veux-tu que je la trompe aussi ? interrompit Gustave. Veux-tu que, cédant à de vaines considérations, je lui laisse ignorer le devoir qui me sépare d’elle, et que j’entretienne en son cœur le sentiment qui fait mon bonheur et mon supplice ? Non ; je préfère sa colère à son mépris. Elle saura, qu’ivre d’amour pour elle, je me résigne au plus cruel sacrifice ; et que je suis du moins fidèle au malheur. Ma résolution est prise, je n’hésite plus que dans les moyens de la lui faire connaître, et dans les motifs à donner à M. de Verseuil, pour l’engager à sortir de cette maison.

— Ce dernier soin est inutile ; car le général, ayant appris la maladie de madame Rughesi, a déjà fait retenir un appartement à l’hôtel de Rome. Il veut, d’après ce que vient de me dire mademoiselle Julie, que madame de Verseuil, lui et le major y soient établis dans la journée même, pour ne pas embarrasser plus longtemps la maison de madame Rughesi. C’est dans ce logement que sa maîtresse demeurera tout le temps que nous resterons en Italie ; madame d’Olbiac viendra l’y rejoindre, et le général les reprendra toutes deux ici pour les ramener en France à la fin de la campagne.

— Elle ne retournera point à Nice, dit Gustave avec inquiétude ; et c’est aussi près d’elle qu’il me faudra renoncer à la voir !…

— Vous ne serez pas longtemps exposé à cette tentation, repris-je. Bernard a déjà reçu l’ordre d’aller établir des étapes sur la route de Mantoue, et nous ne tarderons pas, je crois, à nous remettre en marche.

— Tant mieux. Un boulet de canon viendra peut-être me délivrer de mes tourments. Au reste, ajouta Gustave, ce coup mortel ne saurait égaler la douleur de celui que je vais me porter.

En disant ces mots, il se mit à écrire le billet suivant : « Plaignez-moi, ne m’interrogez pas, et abandonnez-moi à tout l’excès de mon malheur. Je l’ai mérité ; mais, s’il me