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templer. Mais les siens furent tout à coup frappés par l’aspect d’un fantôme, qui, debout devant lui, pâle et immobile comme la mort, semblait attendre la fin de son délire pour l’entraîner avec lui dans sa tombe. À cette vue, Gustave, saisi d’un effroi mortel, se soutient à peine.

— Grands dieux ! dit-il d’une voix étouffée, elle sait tout !

Et cette pensée détruit au même instant l’enchantement qui l’enivrait. Il ne voit plus, dans son retour au bonheur, que le désespoir de Stephania et, dans ce désespoir, la perte d’Athénaïs. Tout lui présage un événement funeste. Cependant, il veut surmonter l’affreux sentiment qu’il éprouve ; il s’efforce de croire que sa frayeur est mal fondée, et détourne les yeux de cet objet de crainte et de pitié. Mais un vain espoir les y ramène sans cesse : il se flatte que sa conscience alarmée trouble son esprit et lui fait voir, dans la pâleur et l’abattement de Stephania, autre chose que l’effet tout naturel d’une journée aussi fatigante pour elle. La nécessité de se contraindre devant tant de monde lui fait adopter cette idée, et c’est à l’aide de cette ruse envers lui-même qu’il parvient à terminer la soirée, sans laisser deviner le trouble de son âme. Mais tous ces subterfuges, qui soutiennent notre courage devant témoins, ne nous sont plus d’aucun secours dans la solitude. C’est là que le remords attend le coupable. Gustave, prévoyant bien les réflexions qui allaient l’assaillir, ne songea pas même à se mettre au lit après la fête ; mais, désirant opposer de doux souvenirs aux pressentiments des malheurs qui le menaçaient, il retourna vers le bosquet d’orangers où il avait, peu d’heures avant, juré de tout sacrifier à l’amour d’Athénaïs.

En approchant de ce lieu consacré par des serments solennels, la vue d’une femme éplorée y frappe encore ses yeux. Elle a les cheveux épars, ses vêtements sont en désordre, tout en elle prouve un égarement complet. Gustave en frémit, il s’accuse. L’aspect d’un si grand désespoir ébranle son courage. Il veut s’éloigner ; une main glacée le retient.

— Stephania ! s’écrie-t-il ; ô ciel ! dans quel état vous vois-je ! Pourquoi venir ici à cette heure ?