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— Ah ! je voudrais voir cela !

— Bien obligé. Mais je dois vous prévenir qu’avant tout, elles frappent la rivale.

— Ceci est différent, et gâte beaucoup le piquant du reste. Mais, sois tranquille : tu vivras, et je n’aurai pas même le plaisir d’exposer ta vie.

Tout en causant ainsi, Gustave faisait la revue des tableaux qui décoraient son appartement. Les plus précieux étaient recouverts d’un rideau qu’il soulevait d’une main, tandis que, de l’autre, portant une lumière, il tâchait de reconnaître le sujet qui avait inspiré le peintre.

— Ah ! mon Dieu ! s’écria-t-il tout à coup, c’est elle !

— Qui donc, monsieur ?

— Stephania ! l’admirable Stephania !

— Quoi ! cette belle femme habillée en vestale ?

— Oui, c’est elle. Voilà bien ses yeux, sa taille, son sourire ; c’est son portrait, je n’en doute pas. Nous sommes peut-être logés chez son père. Comment nomme-t-on le maître de cette maison ?

— Il signor Rugnesi, répondis-je, financier très-fastueux, qui, sottement honteux de sa naissance roturière, s’est, dit-on, fait citoyen, ne pouvant pas être marchese.

— Si c’était son frère ou son mari ?

— Je vous promets de m’en informer demain, de bonne heure. En attendant, faut-il refermer le rideau ?

— Non ; je veux contempler encore ce noble visage.

— Monsieur, vous dormirez mal.

— Qu’importe, si je rêve agréablement ? Mais, vois donc, quel singulier hasard ! Je me trouve, sans savoir comment, l’adorateur déclaré d’une femme que je ne connais pas, et, quand je me reproche de ne l’avoir point quittée de toute la soirée, me voilà forcé de passer la nuit avec son portrait. En vérité, il y a dans tout cela quelque puissance diabolique qui conspire contre ma vertu ; et, sans le souvenir qui me domine…

— Ah ! monsieur, interrompis-je, ne comptez pas là-dessus. Ces sortes de souvenirs ne sauvent pas du crime, et ils ont l’avant-goût du remords. Croyez-moi, laissez agir la destinée