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— C’est bien honnête à lui, car j’ai failli le tuer… mais le plus innocemment du monde.

— Comment donc ?

— Je vous conterai cela.

— Je parie qu’il t’aura questionné sur mon compte ?

— Oui, mais je lui ai répondu de manière à vous tranquilliser tous deux. À propos, n’oubliez pas, monsieur, en causant avec lui, que vous êtes toujours fort épris de mademoiselle Albertine.

— J’entends… Tâche de voir dans la journée le valet de chambre de Bonaparte ; informe-toi près de lui du départ du prochain courrier que le général en chef enverra à sa femme. Je veux le charger d’apprendre à ma mère que je suis chef d’escadron.

— Comment, monsieur, vous obtenez un grade sur le champ de bataille, et vous ne m’en dites rien ?

— Ma foi, tu as si bien l’habitude de deviner mes bonnes fortunes, que j’oublie de t’en parler.

— Vous aviez raison de me punir de n’avoir point deviné celle-là ; elle était si facile à prévoir ! Mais comment l’avez-vous mérité, cet honneur ?

— En faisant comme les autres. J’étais avec Berthier et Masséna au moment où nos grenadiers, foudroyés par le feu des trente pièces de canon qui défendaient le pont de Lodi, hésitaient à franchir ce pas dangereux ; je m’élance avec mes camarades ; nous bravons la mitraille : notre exemple est bientôt suivi de tous, et l’armée passe le pont. Cette action eut lieu sous les yeux du général en chef ; il en partageait le péril, et c’est pour nous qu’il en réclame la récompense. Lui-même vient de m’annoncer le grade qu’il a demandé pour moi au Directoire, et je ne pense pas qu’on ait rien à lui refuser après ce qu’il vient de faire.

— Quelle bonne nouvelle pour madame de Révanne ! m’écriai-je d’un ton qui prouvait toute la part que je prenais à son bonheur.

— Eh bien, elle l’apprendra par madame Bonaparte ; car je ne doute pas que le général, en demandant pour moi cette faveur qu’il pouvait aussi justement accorder à tant d’autres,