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prit à détourner le sien d’une idée qui l’aurait bientôt conduit à la plus triste découverte.

À la suite d’un de ces entretiens, où j’avais épuisé toutes les ressources de ma prudence, je faillis causer au malade une révolution funeste en lui parlant de l’enterrement que nos soldats avaient fait au général La Harpe.

— Quoi ! s’écria M. de Verseuil, il est mort ?

— Hélas ! repris-je tout confus de lui avoir appris cet événement, ce brave général a péri victime de sa bravoure inconsidérée. Ayant été averti que l’ennemi s’emparait de ses avant-postes auprès de Codoguo, il saute à cheval, vole au secours de ses troupes, les trouve aux prises au milieu de la nuit, se précipite dans la mêlée, et tombe frappé mortellement d’une balle, que, pour comble de malheur, on croit partie d’un fusil français. Ses soldats en sont inconsolables ; ils s’accusent d’avoir tué leur général, et l’on ne sait pas jusqu’à quel point ce désespoir aurait pu les abattre, si le général Berthier n’avait ranimé leur courage en commandant lui-même, et en les conduisant au combat.

Après avoir écouté ce récit d’un air sombre, M. de Verseuil me dit :

— Pourquoi m’a-t-on caché cette mort ? Ah ! je devine, on a craint qu’elle ne hâtat la mienne ; c’était mon camarade… mon ami… je pouvais ignorer toujours son sort. Voilà pourquoi on m’en faisait un mystère…

Et ces mots, entrecoupés par des plaintes douloureuses, furent bientôt suivis d’horribles convulsions. À cette vue, un saisissement affreux s’empare de moi : j’appelle au secours, les chirurgiens arrivent ; à mon air égaré, ils croient que le général se meurt, et, partageant à mon tour l’effroi que je leur donne, je m’accusais déjà d’avoir assassiné ce pauvre blessé en le frappant tout à coup d’une si triste nouvelle. Cependant on lui donne une potion calmante, je le vois s’assoupir doucement, et je reprends moi-même un peu de tranquillité.

Pendant que le général reposait, un paysan, dépêché par Gustave, vint nous apprendre le glorieux passage du pont de Lodi. D’abord, tout ce que nous raconta cet homme des faits