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déjà la coqueluche des femmes du canton ; s’il répond, comme l’on doit le supposer, à toutes leurs agaceries, il ne sera bientôt qu’un petit fat.

Placé en face de la jeune femme dont j’ai déjà parlé, je reposais mes yeux le plus souvent possible sur son visage gracieux, et je fus surpris de la rougeur qui le couvrit tout à coup lorsque l’avocat prononça l’arrêt qui livrait aux femmes les destins de mon futur maître. L’officier, ému par l’idée de voir un bon Français perdre sa vie dans les boudoirs, s’écria en jurant :

— Eh ! morbleu, pourquoi sa mère ne le fait-elle pas entrer au service ; le plaisir de faire la guerre le dégoûtera bientôt de tous les autres.

— Vrai dieu ! interrompit la marchande, contre qui voulez-vous qu’il se batte ?

— Mais contre les ennemis de la France.

— C’est cela, répliqua-t-elle, avec un sourire amer ; qu’il tue son père.

— Eh ! non, madame, reprit l’officier, d’un ton méprisant, les Français ne reconnaissent pour ennemis que les étrangers qu’ils combattent. Chacun a sa manière d’aimer et de servir sa patrie ; et l’on peut choisir la plus mauvaise sans être puni de mort. Laissez-nous chasser d’abord les gens qui se mêlent de nos affaires, elles s’arrangeront ensuite d’elles-mêmes ; je ne vous donne pas dix ans pour voir toute la jeune noblesse de France, fière d’obéir aux commandements d’anciens généraux roturiers, marcher avec eux au combat et partager leur gloire.

L’arrivée d’un nouveau voyageur, recruté par le conducteur de la diligence, interrompit cette discussion, qui dégénérait en querelle. Tous les yeux se portèrent sur l’inconnu. Ses vêtements plus que simples annonçaient une humble profession ; mais son assurance, sa familiarité, et un certain air d’autorité qu’il prenait en parlant à tort et à travers, trahissait l’homme en place. En effet c’était le maire du village où nous venions de passer. Cordonnier de son état, bien fait de sa personne, l’avantage de savoir lire et écrire, l’avait porté naturellement aux grands emplois de sa municipalité. Il nous