Madame de Verseuil était encore dans l’enivrement d’un sort inespéré, lorsque les désastres de la Révolution vinrent l’empêcher de jouir de sa fortune. Il fallut brûler ses titres, cacher ses diamants, envoyer son argenterie à la monnaie, ses chevaux à l’armée, et se défaire ainsi des accessoires brillants, pour lesquels on avait accepté une condition misérable. M. de Verseuil, ainsi dépouillé de son cadre, perdit beaucoup aux yeux de sa femme, et quand ils partirent tous deux pour aller dans une de leurs fermes se soustraire au danger d’être arrêtés, Athénaïs regretta souvent dans ce long tête-à-tête les malheurs d’une captivité partagée avec des gens aimables dont l’esprit et la gaieté faisaient quelquefois oublier jusqu’aux approches du supplice.
Dans l’affreuse situation où se trouvait alors la France, M. de Verseuil conçut plus d’une fois le dessein d’émigrer ; mais cela devenait chaque jour plus difficile et plus périlleux. D’ailleurs, ce qu’on racontait des mœurs de Coblentz ne lui donnait pas l’envie d’y conduire sa femme ; et puis, se battre contre son pays lui semblait une occasion si contraire à ses principes, et d’un succès si douteux, qu’il se décida, comme tant d’autres, à marcher contre les étrangers, pour échapper à la fureur de ses compatriotes. Ce parti lui réussit. À l’époque où la bravoure des soldats était si souvent compromise par l’ignorance des généraux, l’expérience de M. de Verseuil lui acquit bientôt de l’ascendant sur tous les officiers de nos troupes républicaines, et déjà plusieurs affaires glorieuses avaient affermi sa réputation, lorsqu’il fut appelé à l’armée d’Italie.
XXXII
— Eh bien, m’as-tu trouvé des chevaux ? me dit le lendemain Gustave.
— Non, monsieur, ils sont requis par les charrois, et l’on ne peut en louer un seul.
— Tant mieux ; cela me dispensera d’aller à la rencontre de ces dames ce soir, et j’en serai plus libre jusqu’au moment