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le laissons parfaitement libre de partir ou de rester. Quand on va se battre, il faut faire provision de plaisirs ; et je l’approuve fort de ne pas négliger ceux qui se trouvent sur sa route.

Ayant répondu à ce discours par un sourire qui semblait convenir de tout, j’allai me vanter à mon maître du succès de ma ruse, et de mon adresse à servir les projets dont je n’avais pas même reçu la confidence.



XXX

Dès que nous fûmes hors de la ville, Gustave se mit à relire la lettre de madame de Verseuil. Au plaisir qu’il semblait prendre à cette lecture, je présumai qu’il n’en aurait pas moins à en parler ; et je hasardai à ce sujet certaines questions, qui, loin de paraître indiscrètes, me valurent l’entière confidence du billet ci-joint :

« S’il est vrai que je vous intéresse autant que vous me le dites et que j’ai la faiblesse de le croire, sauvez-moi vous-même du péril où vous m’exposez. Songez avant tout que le moindre soupçon peut nous perdre, et que, non-seulement la prudence, mais la dissimulation sont nécessaires pour échapper à la surveillance des amis qui m’entourent. Ainsi donc, feignez tout ce qui pourra les convaincre de votre indifférence pour moi. Faites plus encore : laissez-leur croire qu’un autre attachement vous captive tout entier ; enfin, sacrifiez-moi sans pitié aux intérêts d’un sentiment que j’ai déjà trop combattu pour espérer le vaincre.

« Après un tel aveu, je ne pourrais vous revoir ce matin et cacher mon trouble. Partez, et laissez-moi le temps de me contraindre assez pour ne pas nous trahir. »

— Avec d’aussi bons conseils, dis-je après avoir lu, si vous vous égarez, monsieur, ce sera votre faute.

— J’en conviens : aussi suis-je bien résolu à me laisser conduire par ce guide charmant.

— Vous ferez d’autant mieux, qu’il me paraît avoir assez d’expérience.