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me livrèrent pendant quelques instants à une illusion fort douce. Une lettre qu’elle me chargea de remettre à M. de Révanne m’expliqua trop tôt le motif qui l’avait déterminée à m’appeler si familièrement ; et je ne pus m’empêcher de lui laisser voir que j’espérais mieux. Elle reçut cet aveu un peu brusque avec autant de fierté que de coquetterie, et me dit en riant :

— Nous verrons comment se conduira votre maître. Moi je crois au proverbe.

En disant ces mots, elle rentra chez madame de Verseuil, et j’allai porter à Gustave la réponse qui devait achever de lui tourner la tête.

— Puisqu’elle l’exige, dit-il vivement, en relisant la lettre d’Athénaïs, eh bien, soit, je partirai sans lui dire adieu. Je ne la verrai que ce soir, et j’éviterai de causer trop souvent avec elle. Ah ! que de sacrifices on peut imposer, quand on ordonne ainsi !

Puis, se tournant vers moi :

— Allons vite, les chevaux ; il faut que nous soyons en voiture avant eux. Si tu rencontres le major ; s’il te demande pourquoi je ne déjeune pas avec ces dames, dis-lui que j’ai une visite à faire chez un ami aux environs de Lyon, et que je ne pourrai les rejoindre que ce soir à Valence. Mais surtout, cher Victor, point d’indiscrétion.

Ma foi, répondis-je en riant, monsieur s’est arrangé de manière à n’en point redouter de ma part.

— N’importe, reprit Gustave ; suppose que je t’ai dit tout ce que tu sais, et agis en conséquence.

D’après ces instructions, je vis qu’il était essentiel de me faire rencontrer par le major ; et je fis un si grand bruit avec nos valises à la porte de sa chambre, qu’il en sortit bientôt pour savoir la cause de ce tapage ; et je pus alors tout à loisir lui réciter ma fable.

— Ah ! je comprends, me dit-il d’un air fin ; les Lyonnaises sont fort jolies, et M. de Révanne en a sûrement rencontré quelques-unes à Paris, qu’il ne peut se dispenser de voir ici. Nous savons ce que la reconnaissance exige d’un jeune homme aimable ; aussi, dites-lui bien, mon ami, que nous