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dépositaire de son billet. Un regard peignant l’embarras, le reproche et l’émotion la plus vive, apprit à Gustave que sa lettre était reçue avec plus de plaisir qu’on n’en voulait montrer, et cette assurance le rendit fort aimable. Tranquillisé sur les obstacles qu’aurait pu lui inspirer la sévérité de madame de Verseuil, il feignit de s’occuper fort peu d’elle, et mit tous ses soins à convaincre madame d’Olbiac de la préférence qu’il accordait à sa conversation instructive sur toutes celles qui traitaient de la galanterie. Un motif à peu près semblable rendait madame de Verseuil plus bienveillante que de coutume pour le major, qui, fier de se voir ainsi favorisé en présence d’un jeune homme agréable, en montrait une joie ridicule. C’est ainsi que le bonheur des amants se trouve naturellement protégé par l’amour-propre des Argus ; mais il faut en savoir tirer parti, et ce talent, Athénaïs le possédait au suprême degré. Cette soirée, où chacun avait eu sa part d’agrément, assura les plaisirs du reste du voyage. On convint de se réunir ainsi tous les soirs. Madame d’Olbiac n’en témoigna pas trop d’humeur ; seulement elle fit promettre à Gustave de ne point s’arrêter à Marseille, et de les quitter un jour d’avance, pour aller prévenir le général de leur arrivée. Par cette précaution, elle se mettait à l’abri des reproches que son frère aurait pu lui adresser en voyant madame de Verseuil escortée par un jeune officier. Gustave devina l’intention de la sœur, et, comme il avait de même intérêt à ne point éveiller les soupçons du jaloux, il s’engagea de bonne grâce à tout ce que la prudence de madame d’Olbiac exigerait de lui.

On se quitta de bonne heure, Athénaïs devait avoir besoin de repos ; et l’on se fit un prétexte de l’événement qui avait attiré Gustave auprès d’elle, pour l’en séparer plus tôt ; mais il se consola de cette privation en écrivant une partie de la nuit à sa mère.

Nous devions repartir le lendemain de grand matin ; et, comme je me disposais à entrer dans la chambre de mon maître pour le réveiller, la voix de mademoiselle Julie se fit entendre à l’autre bout du corridor. M’étant retourné aussitôt pour la saluer, je vis qu’elle me faisait signe de venir lui parler ; et j’avoue que son air mystérieux et ses signes engageants