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on feint la tristesse, le dépit, et l’on finit par exciter la pitié de son rival.

— Cela se pourrait peut-être si l’on avait la possibilité de convenir chaque matin avec sa maîtresse, de la comédie qu’on devra jouer le soir ; mais les entretiens sont rares entre les amants surveillés, et celui des deux qui n’est pas averti de la feinte de l’autre, le déjoue bientôt par quelques preuves indiscrètes d’un intérêt trop tendre.

— Être trahi de cette manière, n’est-ce pas déjà un plaisir ?

— J’en conviens, mais on le paie souvent de la perte des autres ; et c’est alors que les jaloux ont beau jeu. Comment prétendre se soustraire à leur inquiète surveillance dans une entreprise où le succès même est un piége ?

— Bon ! la tyrannie rend les femmes ingénieuses, et sert parfois à précipiter la fin du roman ; car telle femme qui, fière de sa liberté, aurait coûté des siècles à soumettre, vient s’offrir d’elle-même à celui qui veut bien la venger de son tyran.

— Ah ! si l’on pouvait se résignera des succès de ce genre, on économiserait bien des soins ; mais, vous le savez aussi bien que moi, monsieur, on aime mieux obtenir que recevoir, et la résistance d’une femme ajoute beaucoup à ses attraits. Quant à celles qui s’offrent, on les accepte quelquefois, mais on les adore rarement.

Cette réflexion fit rêver Gustave ; j’étais loin de penser qu’elle dût attrister son bonheur. Cependant, ayant cru m’apercevoir qu’il se livrait à quelque idée sombre, j’essayai de le distraire, en faisant l’éloge de madame de Verseuil, qui m’avait paru plus belle que jamais. Le moyen me réussit : Gustave reprit sa gaieté. Nous approchions de Lyon : il allait y trouver une lettre de sa mère, y faire un bon souper, y commencer une aventure ; que de plaisirs pour un voyageur de son âge !



XXIX


Pendant que madame de Verseuil avait captivé l’attention de chacun, en se trouvant mal sur la grande route, j’avoue