Page:Nichault Les Malheurs d un amant heureux.djvu/13

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mettant de lui apporter chaque matin son déjeuner, d’entrer souvent dans son cabinet pour mettre une bûche dans son feu, ou même d’aller lui chercher un fiacre les jours où la pluie tombant à verse ne permettait pas de sortir à pied. Enfin mille petites faveurs de ce genre lui donnaient bien le droit de blâmer la conduite d’un camarade qui préférait bassement les profits attachés à la condition de valet, à l’honneur d’en faire les fonctions gratis. Je déclamais aussi bien qu’eux sur ce beau sujet, lorsqu’un seul mot de Philippe vint changer mes idées. L’ayant rencontré un dimanche soir, il me proposa d’aller souper avec lui chez une veuve de ses amies, où nous pourrions causer en toute liberté. Je ne fus pas longtemps à m’apercevoir de la puissance qu’il exerçait dans cette maison en attendant mieux. À peine fûmes-nous arrivés, qu’une vieille femme s’empressa de nous offrir des rafraîchissements en nous accablant de politesses entrecoupées d’injures adressées à sa nièce qui n’avait point encore fini de mettre le couvert. La pauvre enfant souffrait tant d’être ainsi maltraitée devant des étrangers, que ses larmes coulaient en abondance sur tout ce qu’elle apportait. En nous mettant à table, je sentis que ma serviette en était humide, et je jetai sur elle un regard plein d’intérêt, dont elle devina la cause ; car se levant aussitôt, elle alla me chercher une autre serviette, que je refusai d’un air qui mit le comble à sa reconnaissance. Cette petite scène muette assura pour ma part l’agrément du souper que l’humeur grondeuse de la tante menaçait de rendre fort ennuyeux. Le plus doux sourire vint ranimer le joli visage de sa nièce, et je ne sais quoi m’avertit qu’il n’appartenait plus qu’à moi d’en changer l’expression.

À la fin du repas, Philippe nous parla de ses projets, et s’étendit sur les avantages de sa nouvelle position, en remerciant madame Dubreuil du sort heureux qu’il lui devait. C’était cette veuve qui l’avait placé chez la comtesse de Saint-Maurice, en qualité d’homme de confiance, chargé du service intérieur et de la surveillance de toute la maison. Philippe s’était bientôt dispensé de la première condition en la faisant remplir par d’autres. Ensuite, ayant persuadé à sa vieille maîtresse que ses gens d’affaires négligeaient ses intérêts, il