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Peu de temps après, Gustave changea de langage ; il avait rencontré madame de Verseuil chez madame de Beau*** le jour même du mariage de cette dernière avec le général B*** ; et quelques mots dits sur le regret de n’avoir pas prévu la visite de M. de Révanne, dont on aurait bien sûrement inscrit le nom sur la liste des personnes qu’on voulait recevoir, avaient eu la puissance de dissiper toute impression fâcheuse.

La cérémonie de ce premier mariage du général B*** se passa si simplement, que la plupart de ses amis ne l’apprirent que le lendemain. Gustave ne l’aurait pas su plus tôt, si la nouvelle mariée n’avait fait arrêter sa voiture au sortir de la municipalité, pour l’engager à venir dîner chez elle. Comme il s’excusait de ne pouvoir se rendre à son invitation, elle répondit en riant qu’elle allait lui envoyer un ordre du général pour assister à sa noce ; et Gustave promit de tout sacrifier à cet imposant devoir. Madame de Révanne, madame T***, et quelques amis intimes furent seuls admis à ce banquet nuptial, dont la gaieté fit tous les frais. Le général, fier de sa pauvreté, montrait avec orgueil le seul présent qui composait toute la corbeille de sa femme. C’était un collier où des chaînes de cheveux se rattachaient à une petite plaque d’or émaillée, sur laquelle on lisait ces mots : Au Destin. On sait comment le dieu a reconnu l’offrande.

En échange de ce don, madame B*** avait brodé une écharpe qui devait non-seulement parer le général, mais le rendre invincible ; et chacun d’eux avait pour cette relique amoureuse toute la superstition des beaux temps de la chevalerie. Gustave était ravi de voir tant d’enfantillage uni à tant de gravité ; car, à tout moment, le général s’échappait du salon où les autorités venaient le complimenter, pour monter chez la vieille femme de chambre, chargée de coudre les franges de cette écharpe, qu’il empêchait de terminer en l’essayant sans cesse. À chaque visite importante, madame B*** priait Gustave d’aller avertir son mari, qu’il trouvait toujours chez l’ouvrière, et attendant la fin de son écharpe. On avait beau se moquer de sa folie, le général n’en était pas moins préoccupé ; ce qui donnait à son visage un air distrait dont les profonds politiques tiraient de grandes conséquences.