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l’ignorance, avait envie de lui répondre qu’il ne connaissait aucun de ces messieurs-là ; mais je l’ai engagé à respecter tant d’innocence.

L’arrivée d’une grande Hollandaise, dont les bras complétement nus rappelaient un peu trop les beaux jours de la Grèce et de Rome, captiva à son tour l’attention de nos voisins, qui se reporta le moment d’après sur une femme que sa mise extraordinaire faisait autant remarquer que sa beauté. Un petit fichu posé à la créole faisait tous les frais de sa coiffure ; et une robe à l’enfant complétait ce costume, dont l’élégante simplicité n’était peut-être qu’une ruse de la coquetterie. Des yeux souvent baissés, un sourire ingénu, une bonté naïve, si difficile à conserver dans le grand monde, venaient d’acquérir à cette jolie personne une réputation d’imbécillité que les femmes, jalouses de ses agréments, n’avaient pas envie de détruire ; mais elle était loin de la mériter, et c’est une justice que le vicomte de S*** se plaisait à lui rendre.

— Enfin la voilà, s’écria-t-il en apercevant madame T***, sur laquelle tous les yeux se portaient, convenez que celle-là est la plus belle. Mais quel est ce jeune homme qui lui donne la main ?

C’est, répondis-je, M. de Révanne.

— Quoi ! le fils de la marquise ? celui qui s’est battu dernièrement pour enlever la petite Albertine au financier Dolivar ?

— Précisément.

— Ah ! je suis bien aise de le voir. J’ai beaucoup connu son père : il venait souvent chez Julie, avant qu’elle fût devenue patriote.

— Quelle Julie ? demandai-je.

— Mais celle dont l’esprit n’est pas moins célèbre que le talent de son mari, madame Talma enfin. Son salon était autrefois le rendez-vous des gens les plus aimables de la cour ; mais depuis qu’elle a donné dans le travers de la liberté, elle ne reçoit plus que des orateurs, des publicistes, tous gens qui peuvent avoir beaucoup de mérite, mais qui ne vont pas avec nous autres.

— Gardez-vous bien d’en dire du mal, me dit tout bas