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Et pour vous faire mieux pressentir un refus,
Me servir des grands mots auxquels on ne croit plus :
Avec vous ce discours serait fort inutile,
Pour vous laisser tromper vous êtes trop habile.
Ainsi donc il vaut mieux, puisqu’en vain l’on vous ment,
Se montrer à vos yeux sans nul déguisement.

LE CHEVALIER.

Oui, l’on peut avec moi s’épargner l’artifice.

LA MARQUISE.

Ma vie a commencé par un grand sacrifice.
Sans consulter mon goût, soumise à mes parents,
Au marquis de Sénante engagée à seize ans,
Je n’ai pu de l’amour sentir naître la flamme ;
Dès lors à l’amitié j’ai consacré mon âme.
Comptant sur ma raison, je me fis le serment
D’éviter à jamais un autre sentiment.
Jusqu’ici sans effort j’ai tenu ma promesse ;
Mais d’aimer aujourd’hui si j’avais la faiblesse,
Je sens que je voudrais échapper au malheur
D’avoir à disputer un infidèle cœur,
Et que j’exigerais d’un amant, l’assurance
De me sacrifier tout lien pris d’avance.
Tenez, si, par exemple, un hasard malheureux
M’avait rendu témoin de ses soins amoureux
Pour quelque jeune objet, dont la grâce infinie
Me paraissait devoir l’attacher pour la vie,
À tant d’esprit, d’appas, de mérite éclatant,
Malgré moi j’aurais peine à le croire inconstant ;
À moins que d’une prompte et complète rupture.
Je n’eusse entre mes mains la preuve la plus sûre ;
Et qu’enfin vers l’objet de ce premier amour,
Je ne dusse plus craindre un funeste retour.
Sinon, dans mon dépit vous prenant pour modèle,
À sa frivolité livrant un infidèle,
J’irais loin de ses yeux apprendre à le haïr…
Vous m’avez entendue… Eh bien ! dois-je partir ?