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— Pourquoi m’avoir quittée ainsi ? pensa-t-elle. N’a-t-il pas obtenu ce qu’il désirait ? Ah ! sans doute il veut se venger de mes larmes, de ce tourment cruel qui me poursuit jusque dans ses bras, de ce remords qui glace mon amour.

— Mais il ne devait voir l’impératrice qu’à trois heures, dit M. Brenneval. Sans doute il aura reçu quelque lettre qui l’a forcé de se rendre plus tôt à Paris. Mais j’entends une voiture ! Qui nous arrive à cette heure ?… Ah ! c’est mon oncle ! je reconnais sa vieille berline.

— Le cher président ? demanda madame de Cernan. Tant mieux ! il me donnera un mot de recommandation pour un de ses amis qui est juge dans une affaire qui m’intéresse.

— Moi qui n’ai rien à lui demander, dit Ferdinand d’un ton railleur, je n’en serai pas moins charmé de le voir. C’est un parfait modèle de l’ancienne magistrature, grave sans airs importants, sage avec tolérance, fidèle à ses vieux principes sans déclamer contre les nouveaux, austère pour lui, indulgent pour tous. Si j’avais des procès de famille, je ne voudrais pas d’autre arbitre ; mais il y a si longtemps que j’ai mangé ma fortune que je n’ai plus l’embarras de la défendre. C’est dommage ; j’aimerais à me confier à un homme tel que lui. Voilà de ces caractères épuisés. Nos prêtres en redingote, nos juges en frac n’auront jamais un tel crédit. Quel est celui de nous qui leur confierait son secret ?

Cette réflexion fit une impression profonde sur l’esprit d’Ermance ; elle venait de lui découvrir un asile, un appui dans son malheur, un guide éclairé. Trop vertueux pour n’être pas indulgent, M. de Montvilliers pouvait seul recevoir la confidence de ses torts sans l’accabler d’une pitié blessante, ou d’une ironie amère. Mois comment arriver à ce point d’humiliation ? comment livrer le secret d’un autre ? Cette pensée l’arrêtait dans le projet de lui tout avouer. N’importe, Ermance sentait qu’il existait un être au monde qui pourrait la comprendre, la consoler tout en la blâmant, et cette assurance d’un secours éloigné lui fit supporter avec plus de courage le danger présent, et la rendit plus affectueuse pour son vieil oncle.