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le démon guerrier de l’empereur, et, plus que tout, ses prédictions funestes, avaient inspiré à la cour une véritable terreur.

— Pour moi, dit très-haut M. Robergeon, j’avais trop de confiance dans l’étoile de l’empereur pour douter un moment du succès de la campagne ! On aura beau dire, c’est le plus grand homme de tous les siècles !

Il faut savoir que M. Robergeon, ancien commissaire des guerres à la retraite, et jouissant d’une pension due à la munificence de l’empereur, n’avait qu’une idée, celle de conserver cette pension à tout prix. Employé autrefois par le général Moreau, il ne manquait pas une occasion d’en médire, car il s’imaginait que la police tenait registre de ses moindres paroles : aussi, quel que fût l’avis des gens qu’il entendait discuter sur le mérite ou les fautes de l’empereur, il ne manquait jamais de les interrompre par sa phrase accoutumée : « Pour moi, messieurs, je le regarde comme le plus grand homme de tous les siècles, et je ne crains pas de le dire. » Enfin, M. Robergeon était un modèle d’esprit de conservation. On ne causait pas un quart d’heure avec lui sans ressentir la gêne d’un tiers importun qui ne permettait pas à la pensée de s’exprimer librement, qui la contraignait au point de la rendre absurde : ce tiers, c’était la maudite pension, qu’une imprudence, un mot pouvait anéantir. Cette espèce de Seïdes pensionnés se reconnaissait alors à leur ardeur à vanter les fautes ou les revers du maître. Calmes sur les triomphes mérités, ils s’exaltaient sur ce que les plus grands admirateurs de l’empereur n’osaient défendre ; et, malgré tant d’exagération dans leur dévouement, on ne les confondait jamais avec ceux dont la sincère admiration n’était point aveugle, avec ces braves officiers qui disaient en le suivant au champ d’honneur : « Le petit caporal en fait furieusement tuer, mais aussi comme il traite bien ceux qui restent ! »

Après avoir jeté un regard dédaigneux sur M. Robergeon, madame de Cernan continua :

— Est-il vrai qu’au milieu de tous ces désastres, l’empereur ait commencé un roman dont l’héroïne est polonaise ?