femme si dévouée ? demanda Ermance d’un ton à la fois digne et timide.
— Je croyais que madame savait son nom ; elle n’en fait pas mystère. Depuis que nous l’avons retrouvée à Varsovie, elle a toujours voyagé avec nous, s’arrêtant dans les mêmes endroits où mon maître était forcé de prendre un peu de repos ou de consulter quelque chirurgien sur sa blessure ; un jour pourtant, monsieur, qui ne paraissait pas avoir envie de rentrer en France suivi d’une troupe de femmes, car ces Polonaises en ont toujours des voitures pleines à leur suite, monsieur me dit :
« — Étienne, fais atteler demain deux heures plus tôt que nous en sommes convenus avec la princesse, et n’en dis rien à personne ; je veux passer la frontière le plus secrètement possible : l’empereur a de l’humeur contre les officiers qui reviennent à Paris, et j’ai beau être malade, on ne me pardonnerait pas de me passer de congé.
» Il suffit, répondis-je. Avant le jour, les chevaux étaient à la calèche et les malles attachées ; mais la maudite fièvre qui l’a mis à la mort depuis commença à le prendre juste au moment de partir, et cela avec tant de violence qu’il fallut attendre que l’accès fût calmé. L’heure se passait ; la princesse ayant appris à son réveil que monsieur était plus malade, et qu’il avait voulu partir seul de Francfort, gronda tout le monde, et fit tout ce qu’elle put pour l’engager à rester à la Maison-Rouge, où nous étions très-bien logés, et où M. Bethman nous avait recommandés à un excellent médecin ; mais monsieur répétait toujours :
— » Moi, rester ici ! non, non, je veux mourir en France, je veux la revoir !
» Cette idée était si bien enracinée dans sa tête qu’il a fallu y céder : nous l’avons porté dans sa voiture, je me suis placé sur le devant de la calèche pour soutenir sa jambe blessée. Au bout de quelques heures, nous avons passé le Rhin, et quand mon pauvre maître s’est revu en France, après avoir si souvent déploré ensemble le chagrin de mourir si loin de notre pays, il s’est mis à pleurer comme un