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pris, les membres gelés, par une horde de cosaques, il était prisonnier sur les bords de l’Oural. Rien, hélas ! ne donnait plus l’idée des malheurs de cette campagne que ces tristes joies ; mais c’était encore de l’espoir, et tant de pauvres mères n’en avaient plus !

Après avoir passé par toutes les inquiétudes, les terreurs de cette cruelle époque, madame de Lorency apprit enfin, par une lettre à peine lisible, écrite par un domestique dont les doigts avaient été gelés, que M. de Lorency, grièvement blessé, venait d’arriver à Mayence, où une fièvre violente l’avait forcé de s’arrêter. La lettre de ce brave serviteur, le seul des gens de M. de Lorency qui ne fût pas mort de froid ou de faim pendant ce désastreux retour, laissait peu d’espérance. Atteint d’un coup de feu au passage de la Bérézina, Adhémar n’avait pas cessé depuis de monter à cheval et de braver un froid mortel, aussi la plaie qu’il avait à la jambe s’était-elle envenimée à tel point que l’on craignait d’être obligé d’en venir à faire l’amputation. Tous ces détails, donnés avec une exactitude presque barbare, plongèrent Ermance dans un profond désespoir ; mais son cœur, habitué aux déchirements les plus cruels, ne se laissa point abattre. Une heure après la réception de cette lettre, tout était disposé pour son départ ; elle n’attendait plus que le passe-port qui devait l’empêcher d’être retardée dans sa route, lorsqu’elle vit entrer chez elle M. Brenneval, le visage altéré, les lèvres tremblantes, enfin, dans un état qui la fit frémir.

— Est-il bien vrai ?… tu pars… dit-il précipitamment, tu me laisses au moment où… perdu ! déshonoré ! je n’ai plus que toi… où toi seule peux me secourir… me sauver !…

Et M. Brenneval, prêt à suffoquer, venait de se laisser aller sur le canapé, et tenait sa tête dans ses mains, comme pour cacher les larmes qui l’étouffaient.

— Mon père ! s’écrie Ermance, qu’avez-vous ? quel malheur vous arrive ?

— Je suis ruiné !… D… et S…, de Hambourg, m’emportent dans leur faillite le reste de ma fortune. Ce malheur, tout grand qu’il soit, ne me plongerait pas dans l’état où tu me