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— Que dites-vous ! reprit Albert avec des yeux brillants d’espoir. Quoi ! vous pourriez répondre…

— Non, pas à votre amour, répliqua Ermance avec toute la sévérité d’une femme d’esprit qui sait qu’en pareils cas les ménagements sont des humiliations mal déguisées ; non, je ne mériterais pas de vous intéresser autant, si je pouvais vous flatter d’un retour impossible. M. de Lorency a des maîtresses, je le sais, et ce tort, qui vous encourage à me parler de consolations, m’afflige profondément ; mais il ne saurait altérer mon attachement, je dirai plus, ma passion pour lui. Je voudrais que le sentiment du devoir fût pour quelque chose dans l’éloignement que j’éprouve pour tout autre amour ; mais je ne m’abuse point : après l’avoir épousé contre mon gré et lui avoir peut-être trop mal dissimulé ma répugnance à obéir aux ordres de l’empereur, qui voulait ce mariage, j’ai reconnu mon injustice envers lui, et j’ai fini par l’aimer d’un amour trop vif, trop tourmenté, pour n’être pas éternel. Hélas ! si ce sentiment était plus heureux, je ne vous en parlerais pas, dit Ermance d’une voix qui trahissait ses larmes, je n’insulterais point par mon bonheur à votre peine, mais je suis malheureuse, et sans espoir d’être jamais consolée, car je préfère mon malheur à toute la félicité qu’un autre sentiment pourrait m’offrir.

— Et moi aussi, reprit Albert, que le désespoir et la reconnaissance animaient à la fois ; mon malheur est ma vie, et vous venez de me le rendre plus cher encore. Votre cruelle franchise ne me guérira pas, je le sens, mais elle soumettra toutes mes actions à votre volonté. La pensée que vous savez ce que j’éprouve m’aidera à le supporter ; vous me plaindrez, du moins ; vous saurez qu’il y a là, près de vous, un être que vous seule animez ; je ne vous serai plus étranger ; je ne serai plus réduit à vous faire parvenir par une ruse une preuve de ma pensée permanente, à me cacher dans les bois de Montvilliers pour respirer un instant le même air que vous, pour vous voir passer comme une ombre, et pour pleurer ensuite du regret de n’avoir pas osé m’approcher du fantôme adoré. Vous me permettrez de vous voir, n’est-ce pas ? d’aller puiser