Enfin, le domino bleu s’arrêta près de la console sur laquelle s’appuyait Albert ; il regarda la pendule et dit adieu à Ermance ; alors les masques à la suite se rassemblèrent dans l’ordre accoutumé, et tous sortirent du bal.
Albert, voyant madame de Lorency toute seule, s’offrit pour la conduire à la place où madame de Cernan était restée, dans un autre salon : Ermance accepte, non pas sans s’apercevoir du trouble d’Albert, mais n’osant lui dire un mot, dans la crainte de l’augmenter.
— Il faut être bien audacieux, madame, dit-il alors d’un ton amer, pour oser vous offrir son bras après celui que vous venez de quitter.
Puis, voyant que madame de Lorency s’obstinait à ne pas répondre, il ajouta :
— Je commets peut-être une indiscrétion en vous parlant d’un entretien qui excite l’envie ou la jalousie de tant de personnes ici ; mais vous n’espérez pas sans doute en garder le secret : la publicité est un malheur attaché à une si auguste préférence.
— Je ne prétends pas plus nier cette conversation que m’en vanter, reprit madame de Lorency, et si la malignité cherche à en tirer parti contre moi, j’espère trouver plus de justice chez les gens qui me connaissent.
— Ceux-là ont pourtant plus de raisons encore de croire à votre puissance, et on leur persuaderait difficilement que l’homme qui posssède toutes les séductions de la gloire ne les employât pas à tenter une si belle conquête.
— Il a de plus nobles ambitions, reprit Ermance, et je vous assure qu’il ne pense pas…
— Ne lui faites rien perdre de mon estime, interrompit Albert ; s’il pouvait connaître tant de perfections sans les apprécier, il serait indigne de son bonheur ; mais je ne lui fais pas cette injure. Seulement, le soin de bouleverser les empires et de gouverner le sien lui laissent si peu de temps à donner à ses affections qu’elles ne sont jamais que les épisodes fort courts de l’histoire de son règne, et l’on ne peut voir sans regret