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yeux, fatigués par les larmes, étaient languissants : sa respiration paraissait difficile.

— Vous êtes plus souffrante ? lui dit Ermance avec inquiétude.

Et madame de Volberg, voyant que Natalie hésitait à répondre, dit :

— Je la trouve aussi moins bien aujourd’hui, et je ne comprends pas ce qui a pu occasionner ce changement dans sa santé, dont je commençais à être beaucoup plus contente. Je crois que l’air du spectacle ne lui vaut rien. Albert est venu hier nous apporter la loge du prince de Schwarz… à la Comédie française. Talma jouait ; elle ne l’avait jamais vu dans l’Oreste d’Andromaque. Vous savez qu’il y est admirable ? Eh bien, il s’est surpassé à tel point hier qu’Albert était à moitié fou en l’entendant maudire la fatalité de son amour et que Natalie a pensé s’en trouver mal. Ces sortes d’émotions ne valent rien pour les santés délicates : aussi ai-je résolu de ne plus la mener voir Talma.

— Il faudrait aussi l’empêcher de lire Racine, dit tout bas Ferdinand à madame de Lorency, et surtout Andromaque, ce drame universel qui se joue continuellement dans le monde, où l’on n’aime bien que celui qui en aime une autre.

— Si le ciel ne vient à son secours, pensa Ermance en voyant l’altération des traits de Natalie, elle sera morte avant six mois.

Et cette pénible réflexion la décida à aller au bal de l’archi-chancelier.

Que de fois un motif aussi triste a conduit une femme dans ces lieux de plaisirs où les plus cruelles passions se cachent sous le rire ! dans ces bals déguisés où le soupçon, la jalousie, la vengeance espèrent saisir un moment favorable pour faire expier leurs tourments à de coupables victimes ! Ah ! si l’on pouvait lire sur la plupart de ces masques joyeux le sentiment qui les anime, on se croirait transporté tout à coup dans une de ces maisons où le sombre désespoir et les éclats de rire offrent l’affreux spectacle de la démence incurable.