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de personnes y venaient de Paris sans regretter les douze lieues de route que leur coûtait ce plaisir. Les étrangers distingués s’empressaient de s’y faire inviter, et l’on était sûr d’y trouver ceux dont le rang ou la célébrité devait ajouter à l’éclat de ce public choisi.

Le président, ancien ami de madame de L. B…, manquait rarement à ces représentations dramatiques ; il savait combien elle tenait à la fidélité de ses spectateurs, et puis il s’amusait à voir ainsi travestis les gens de sa connaissance. Une autre considération le déterminait : madame de L. B… tenait par son mari et son gendre à la haute magistrature, et M. de Montvilliers avait été élevé dans le respect et presque dans le culte des autorités parlementaires.

Malgré son éloignement pour le monde et sa résolution de ne s’y montrer qu’autant que les convenances ou l’intérêt de son mari l’y obligeaient, Ermance ne put refuser à son oncle de l’accompagner chez madame de L. B…. On venait de passer dans la salle de spectacle lorsqu’ils arrivèrent. Placée à côté de madame de N…, la plus aimable moqueuse de Paris, Ermance s’amusa encore plus de sa conversation que du spectacle. Madame de N… était trop spirituelle pour faire porter ses plaisanteries sur de pauvres amateurs qui font de leur mieux pour divertir ou intéresser leurs amis, et dont les talents ont souvent quelque chose de plus naturellement délicat que ceux des artistes, obligés de représenter des personnages et des manières qui leur sont inconnus. Madame de N… applaudissait sincèrement les acteurs, mais elle était sans pitié pour les spectateurs à prétention : la princesse Ranieska, avec ses attitudes dolentes, son regard envieux et sa grâce polonaise, était particulièrement l’objet de sa gaieté maligne.

— Vous savez son histoire, dit-elle à madame de Lorency ; elle vient ici pour la rédiger selon les mœurs du pays ; elle a une version différente pour chacune des grandes villes où elle fait quelque séjour : sa dame de compagnie et ses gens sont chargés de la répandre, car elle n’oserait traiter elle-même un sujet semblable. À Vienne, son mari a voulu l’assassiner ; à Berlin, il est devenu subitement fou ; à Londres, il