Le moyen lui avait tant de fois réussi avec d’autres rivaux ! Mais le jeune Albert était moins facile à déjouer ; il était sans présomption et d’une persévérance à désespérer la malice en la forçant de se répéter.
Hors de rivalité, M. de F… était le meilleur et le plus bienveillant des hommes ; sa présence chez l’impératrice Joséphine prouvait assez la noblesse de son caractère, car, attaché à la cour d’une princesse ennemie de tout temps de madame Bonaparte, il risquait de déplaire à celle qui triomphait en venant rendre hommage à la victime ; et déplaire à une si belle personne était un acte bien courageux de sa part !
En observant la manière dont M. de F… causait avec madame de Lorency et les regards que tous deux portaient de son côté, le comte Albert devina qu’on parlait de lui, et il fit une de ces manœuvres difficiles à exécuter dans un salon où il y a trop de monde pour circuler librement, et trop peu pour que le moindre changement de place n’y fasse événement ; cependant il parvint à se glisser derrière le fauteuil de madame de Lorency, auprès de M. de F…, et se plaignit avec beaucoup de grâce de l’abus que celui-ci faisait de sa confiance.
— Dites de moi sérieusement tout le mal que vous voudrez, ajouta-t-il, et que je mérite peut-être, mais ne riez pas en en parlant, je vous prie ; sinon, je suis un homme perdu !
— Tenez, le voilà qui m’implore, dit M. de F… à madame de Lorency. Puis, se retournant vers le comte Albert : Ingrat ! ajouta-t-il d’un ton plaisamment solennel, je demandais à madame la permission de vous présenter à elle… C’est M. le comte de Sh… qui désire vivement, madame, avoir l’honneur de vous offrir ses hommages !
Et madame de Lorency fut obligée de répondre par les politesses d’usage au compliment respectueux que lui adressa le comte Albert ; elle achevait de lui parler lorsqu’elle aperçut Adhémar les yeux fixés sur elle avec une expression de mécontentement très-marquée. Il venait d’arriver avec le général Donavel, tous deux attendaient que l’impératrice Joséphine eût fini de dire adieu à un grand personnage qui prenait congé d’elle, pour la saluer.