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tribuait les malheurs de la Révolution et tout ce qui s’en était suivi. Sa rage contre Voltaire avait quelque chose d’amusant, par sa constance à prouver que chaque vice du siècle était le fruit d’un de ses ouvrages : à l’entendre, le monde était parfait avant la naissance de ce damné philosophe. Une telle exagération critique donnait l’envie de tomber dans le défaut contraire, et ce travers, le fils de M. de Gevrieux s’en était emparé comme pour mieux prouver son indépendance ; il naissait de ces différentes opinions des discussions éternelles qui amenaient toujours tant de choses déraisonnables de part et d’autre, que chacun Unissait par en rire.

Le curé de Montvilliers, vieillard enjoué, bon joueur de trictrac, aimé de ses paroissiens, bien venu au château, y passait ordinairement la soirée : voilà à peu près tout ce qui composait la société du président, sauf quelques visites du sous-préfet de l’arrondissement et des plus proches voisins de Montvilliers.

— J’ai bien peur, ma chère enfant, disait-il à Ermance, de vous voir mourir d’ennui dans mon vieux manoir avec mon entourage d’ancien régime ; tout cela est si peu en rapport avec vos habitudes et les gens que vous voyez chez votre père. Mais puisque vous consentez à vous sacrifier pour moi, aidez-moi du moins à vous rendre ma société plus supportable, en invitant la vôtre toutes les fois qu’elle voudra bien venir nous voir. Je ne fais d’exception que pour les séïdes pensionnés ; toute autre personne sera reçue avec plaisir ; les mieux accueillis seront ceux qui vous plairont le plus.

Touchée de tant de bonté, Ermance pria son oncle de ne rien changer à sa manière de vivre ; elle l’assura qu’étant fatiguée du monde, c’était surtout la paix d’une douce retraite qu’elle venait chercher près de lui, et il fut bientôt convaincu qu’elle disait la vérité en la voyant chaque jour moins souffrante et moins triste.

Ce calme n’était pourtant que l’effet d’un profond désespoir ; mais quand on a longtemps souffert des tortures de l’incertitude, quand on a lutté longtemps contre un destin fatal, quand des lueurs d’espérance ont cessé de vous montrer