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vait nulle connaissance des usages de la bonne compagnie, et M. de Lorertcy s’efforçait en vain à les lui faire comprendre ; honteux de son ignorance, il lui prêtait des livres, que Chancloux lisait en conscience dans ses moments de loisirs ; mais comme la lecture d’un ouvrage était un travail pour lui, il voulait s’en faire honneur, et le citait à tous propos d’une manière si burlesque, qu’Adhémar ne pouvait s’empêcher d’en rire. C’est ainsi que lui ayant prêté le Siècle de Louis XIV, par Voltaire, et se trouvant à un grand dîner chez le préfet d’Anvers avec le vieil archevêque de Malines, M. de Roquelaure, Adhémar entend le colonel dire d’un bout de la table à l’autre :

— Ah ! c’est donc vous qui êtes ce vieux farceur de Roquelaure ? parbleu ! vous pouvez vous vanter de m’avoir bien fait rire !

Qu’on juge de l’effet de cette saillie, et du regret qu’éprouva M. de Lorency d’avoir fourni à son colonel les moyens de divertir à ses dépens un si grand nombre de convives.

Malgré les inconvénients de son érudition et sa prose des camps, Chancloux avait un esprit original et vif, dont le soldat français était seul le modèle, et qui plaisait toujours aux gens spirituels ; mais les sots bien appris ne concevaient pas qu’on pût s’amuser de la conversation d’un homme qui ne disait rien comme tout le monde. Indulgents pour les manières communes, la brusquerie de celles de Chancloux leur était insupportable ; ils se moquaient de sa franchise comme d’une vieille mode ridicule, et feignaient de redouter la gaieté de ses à-propos, qui n’étaient jamais indécents, pour cacher la peur qu’ils avaient de ses vérités plaisantes. Le capitaine Charles de Long…, auteur de jolis ouvrages dramatiques, et le chansonnier des vainqueurs, était un de ceux qui se divertissaient le plus des grimaces que le colonel Chancloux faisait faire à ce qu’ils appelaient les bégueules de l’armée ; et son esprit piquant, encourageant celui du colonel, ils devenaient tous deux, sans le savoir, les acteurs d’un proverbe improvisé qui excitait une gaieté générale.

Le bruit du souper joyeux qui se préparait se répandit bientôt dans les cercles de Vienne. Plusieurs personnes des