nant de madame de Lorency, il lui laissait le plaisir de la dépenser elle-même. Cependant, sensible aux plaisanteries de ses camarades sur sa sagesse et sa mélancolie, il voulut, avant de quitter Vienne, leur donner un souper, le meilleur et le plus amusant possible. Dans cette louable entreprise, il s’associa le joyeux Auguste de Castelmont, l’un des officiers les plus distingués, et le plus aimable des mauvais sujets de l’armée. Adhémar exigea que son premier colonel, le brave Chancloux, surnommé Z’en-Avant par l’habitude qu’il avait toujours eue de commander l’exercice avec cette petite variante, fût le héros de la fête ; car c’était à lui qu’il devait ses premiers élémens dans l’art militaire et les dangers multipliés qui lui avaient souvent offert l’occasion de se distinguer. Y avait-il un poste périlleux à défendre, une redoute à enlever, Chancloux proposait toujours Lorency en disant :
— J’en réponds ; avec son petit air muscadin, c’est tout de même un farceur solide ; et si le poste est enfoncé, c’est pas lui qui viendra vous le dire. Allez, confiez-lui l’ordre, et… z’en avant !
Cette préférence de Chancloux pour le jeune Lorency prouve assez qu’il n’y a réellement que deux classes dans une armée, celle des braves et celle des prudents : car on ne saurait donner un autre nom à des gens qui se résignent avec honneur. Mais de toutes les noblesses, la plus intolérante est celle du courage ; et le plus hautain des gentilshommes de France ne parle pas avec plus de dédain d’un clerc de la basoche, que tel général de certains élégants porteurs d’épaulettes. C’est de ces derniers dont Chancloux disait :
— Il en faut comme ça les jours de parade, cela requinque un état-major ; mais, les jours de bataille, ça n’en mange pas.
Adhémar n’était pas de ce nombre ; aussi, Chancloux, qui s’y connaissait, avait-il contribué beaucoup à son avancement ; car sa protection faisait autorité, et valait celle d’un maréchal de France. Adhémar aurait voulu pouvoir reconnaître de tels services en lui donnant à son tour quelques leçons d’urbanité ; destiné par son grade à vivre avec les principaux officiers de l’armée, à être reçu dans le monde, Chancloux n’a-