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contrastait avec les figures enjouées de tout ce qui se trouvait là ; on lui en fit reproche.

— Ah ! répondit-il, cette belle victoire me coûte trop cher pour m’en réjouir comme vous ; Lac…, M…, R… et bien d’autres y sont restés ; vous savez si ce pauvre L… était mon ami, si je l’aimais…

Et un attendrissement profond l’empêcha de continuer. Chacun, ému des regrets du colonel B…, le questionna sur les détails de cette grande affaire ; il les tenait de la bouche même du premier consul, qui n’avait pas atténué nos pertes, tout en exaltant beaucoup le résultat de ce beau fait d’armes.

Pendant le récit du colonel, j’avais été saisie d’une terreur soudaine ; je m’étais sentie près de me trouver mal ; l’ombre d’Alphonse m’était apparue, le cœur percé d’une balle, ses regards mourants tournés vers moi ; il était mort, j’en étais certaine ; son dernier soupir, cet adieu qui devait me parvenir en quelque lieu que je fusse, je croyais l’entendre ! J’en étais oppressée comme d’un remords, il m’accablait ; et j’aurais succombé à cet état violent, inexplicable, si des larmes n’étaient venues me soulager.