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Alphonse que je ne connais pas, qui sera peut-être tué à la première bataille, et qui s’avise de m’aimer parce que son cœur est veuf. Je lui ai défendu de m’écrire, et je regrette ses lettres ; je lui ordonne de m’oublier, et je suis sûre que je ne verrai jamais deux épaulettes sans penser à lui. Enfin, je lui ai composé un visage, une tournure à mon goût ; je vais jusqu’à le parer d’un sentiment impossible, d’un amour désintéressé, qui pourrait vivre d’absence et de privations ; j’en fais une espèce d’ange à l’usage de mes rêveries. Tout cela tient du prestige, de la folie ; et voilà ce que je n’aurais jamais connu sous la domination d’un jaloux, qui défend de penser et d’écrire.

— Et voilà aussi ce qu’une honnête femme peut seule avouer, répondit M. de P***, en me serrant la main avec une affection paternelle. Une âme aussi pure, aussi sincère, peut s’abandonner sans crainte à ses inspirations, elles viendront toujours d’une conscience éclairée.

Je m’efforçai de croire à cette nouvelle prédiction. Cependant, pour plus de sûreté, je m’établis coupable à mes propres yeux. C’était m’imposer des devoirs plus sévères ; le premier devait être