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Trente ans après, mon père se trouvant à dîner chez M. de Varennes, avec le vieux Laplace, le vieux maréchal de Richelieu, et quelques autres débris du siècle de Louis XV, ne tint pas au désir de vérifier l’exactitude du récit de madame Bar… Ce n’était pas chose facile pour un jeune homme que l’amitié du maître de la maison et la protection de M. de Voltaire recommandaient seules à la bienveillance du maréchal, que d’adresser une question à ce sujet au héros de l’aventure ; c’était se rendre coupable d’une inconvenance, et se perdre par là même à jamais dans l’esprit de M. de Richelieu : il fallait donc se faire ordonner l’indiscrétion qu’on brûlait de commettre. Voilà comme M. de L… s’y prit : il affecta, tout le temps du dîner, une préoccupation extrême et des distractions ridicules ; il était certain que M. de Varennes voudrait en savoir la cause.

— Mais à quoi pensez-vous donc, mon cher ami ? dit celui-ci ; vous mettez du sel dans votre crème au chocolat ; de l’eau dans votre vin de Champagne ; vous ne répondez à personne ; vous avez l’air de rêver : à quoi pensez-vous donc ?

— Belle question ! répond le maréchal ; il