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c’était dans son amour même qu’elle puisait sa force à me résister.

Au moment où elle s’apprêtait à me quitter, malgré mes prières, malgré mon désespoir, un coup de vent poussa vers la grève un corps inanimé : c’était celui d’une jeune fille que ses parents, trop pauvres pour lui donner les honneurs du bûcher, avaient ensevelie dans le fleuve sacré, selon la coutume du pays[1]. La vue de cette belle morte, dont les cheveux, accrochés aux débris d’un canot, la fixaient là près de nous, comme un pressentiment funèbre, me glaça d’effroi. Je tombai à genoux, et m’attachant par un mouvement involontaire au bras,

  1. Lorsque le bûcher est éteint, on l’arrose de lait, et les cendres sont transportées dans les fleuves sacrés, tels que le Gange, la Crirhna et autres. Souvent même on abandonne les cadavres au courant des eaux, où ils servent de pâture aux crocodiles ; souvent aussi lorsqu’un Indou est près de mourir, ses parents, ses amis l’exposent sur les bords de ce fleuve, et le flux enlève et engloutit le moribond avant qu’il ait rendu le dernier soupir. Celui-ci, au lieu de se retirer, emploie ses forces défaillantes à se rapprocher du fleuve afin d’avoir le bonheur d’expirer dans ses eaux saintes.
    (Voyage dans l’Inde, par M. Briand.)