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moi je crus reconnaître l’accent de la vérité dans cette menace faite du ton le plus simple.

— Écoutez-moi, dit-elle en me conduisant vers un banc abrité par deux platanes et entouré de magnolias odorants ; écoutez-moi et croyez-moi, car je ne vous dirai que la vérité.

» Je suis née de bons bourgeois de province, négociants de leur état, et ruinés par la Révolution. Une sœur de ma mère ayant pris soin de moi lorsque le chagrin et la maladie m’enlevèrent mes parents, je fus amenée à Paris, où ma tante espérait faire un bon mariage ; trompée par l’homme qui devait l’épouser, elle s’enfuit un jour avec un jeune lieutenant-colonel, et me laissa à la merci d’une vieille servante ; celle-ci crut m’assurer le sort le plus heureux en me livrant à la femme chez laquelle vous m’avez vue.

» On me donna une gouvernante sévère, des maîtres de français, d’anglais et d’italien. Je devins, en peu d’années, fort bonne musicienne, et celle qui chantait le mieux de toutes les élèves de ce singulier pensionnat. Lorsque j’arrivai à quinze ans, on me sépara de mes compagnes ; ma vieille gouvernante fut dès lors mon unique