Page:Nichault - Souvenirs d une vieille femme.pdf/139

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lus en profiter en entamant la conversation avec ma jolie voisine. Le sujet était indiqué ; la patrie qui nous était commune allait me fournir une série de phrases charmantes dont l’effet ne me semblait pas douteux ; mais le difficile était de les faire entendre ; car miss Denneville s’obstinait à causer avec une des filles du gouverneur qui était placée à sa droite, et je ne pouvais obtenir ni un mot ni un regard. Enfin, piqué de cette marque de dédain, je m’en plaignis avec une sorte d’amertume polie, qui me valut cette singulière réponse :

— Au nom du ciel, ne me perdez pas !

Stupéfait de cette prière faite d’un ton suppliant, je veux voir si c’est bien sérieusement à moi qu’on l’adresse : miss Denneville s’est retournée, je ne puis apercevoir son visage ; j’écoute ce qu’elle dit à la jeune Clara, je n’y comprends rien ; mais sa voix est tremblante : cette voix émue me trouble à mon tour ; je devine quelque chose de dramatique dans la situation de cette femme, dans la mienne, peut-être. La curiosité la plus vive s’empare de moi, je me sens prêt à tout braver pour la satisfaire. Cela n’était pas facile, au milieu d’une conversation