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— Vous voulez savoir si j’ai eu plus de bonnes chances que de mauvaises en amour : c’est tenter ma franchise et ma vanité ; mais puisque vous avez voulu établir entre nous une fraternité fort ennuyeuse, j’y gagne au moins le plaisir de vous parler comme à ma sœur. Eh bien, vous saurez que l’aventure la plus intéressante de ma première jeunesse est un véritable revers, et le revers le moins probable et le plus douloureux.

Je venais de chercher mon passe-port, dans l’intention où j’étais de m’embarquer au Havre pour me rendre à l’île Bourbon, où de grands intérêts de famille m’appelaient. Désespéré comme on l’est à vingt-trois ans lorsqu’on s’éloigne du pays où l’on sait le mieux s’amuser, je cherchais à m’étourdir par tous les moyens possibles. Plusieurs jeunes fous de mes amis m’en proposèrent un, peu honnête, il est vrai, mais fort à la mode à cette époque. Il s’agissait d’un souper joyeux, chez une vieille matrone, dont le sobriquet n’était rien moins que le titre de maréchale. Cette femme, d’une laideur qui ne lui permettait pas de travailler pour son compte, avait un goût exquis dans ses choix complai-