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dain ; ce n’est pas le moindre des miracles de notre organisation morale.

Cette vieille fille-modèle passe inaperçue dans le monde ; hors du petit cercle d’amis de sa sœur, personne ne sait ce qu’elle vaut ; on la traite comme une dame de compagnie. Son amour-propre n’en souffre pas : il n’est plus à son usage. Un seul chagrin peut l’accabler, ce n’est pas l’ingratitude ; elle ne demande rien que de pouvoir se dévouer. Mais que l’objet d’une telle amitié meure, que tant de sentiments placés sur un seul être refoulent sur le cœur qui reste, la pitié n’a pas d’expression assez forte pour peindre son malheur. Y succombera-t-elle ? Non, car le ciel lui offre encore un moyen de ne pas vivre pour elle : la charité réclame ses soins ; et c’est au milieu des souffrances, des plaintes des mourants, qu’elle achève sa vie de sainte.

Nulle pompe funèbre n’accompagne sa mort, nul article nécrologique n’apprend qu’elle a vécu. Les malheureux seuls la regrettent… Pourquoi ce silence, cet abandon ?… Vous le savez trop bien, vous que l’amour-propre, ou plutôt la passion de vous-même, rend si joyeux et si ridicule.