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en ce genre, vous pouvez lui offrir de plus quelque tic invétéré, quelque infirmité risible, c’est alors que votre fortune n’a plus de bornes.

Ravi de pouvoir vous appeler sourd, boiteux, bancal ou borgne, le peuple des envieux, des badauds goguenards, vous laissera monter sur ses épaules, s’il le faut, pour atteindre au but le plus élevé. Vous pourrez mener l’Europe du coin de votre table de whist, disposer des trônes et des portefeuilles, des places, et partant des consciences ; on citera votre esprit, vos bons mots, on vous en prêtera même ; vous passerez pour le protecteur des beaux-esprits, le séducteur des jeunes femmes, le modèle des ministres. Ce bon peuple, tout au plaisir de faire des quolibets sur votre manière de marcher, vous laissera parcourir la plus longue carrière galante et politique. Enfin il vous livrera ses destins, à la seule condition de lui fournir toujours de quoi se moquer et médire.

Vous, que le noble feu de l’ambition consume, dites-nous quels talents, quelles vertus, quels dévouements sublimes, ont jamais tant obtenu de la reconnaissance des peuples !