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dit alors le petit Achille, le dernier de la famille ; quoi vous mangez là ?

» Et en questionnant ainsi, il mettait sa main tout entière dans la crème au chocolat que sa mère venait de m’envoyer.

» — Voulez-vous en goûter, mon petit ami ? dis-je à l’enfant, dont les cinq doigts étaient empreints sur la crème.

» — Non, monsieur, interrompit madame Derfeuil ; je ne veux pas que vous soyez bon à ce point pour lui. C’est fort laid, monsieur Achille ; de mettre ainsi la main dans l’assiette de ses voisins ; pour vous en punir, vous n’aurez point de crème.

» Alors l’enfant pousse son assiette avec colère, et saute à bas de sa chaise en baragouinant toutes sortes d’injures, heureusement inintelligibles pour tout autre que sa mère. On le croit parti, et l’on s’en félicite ; mais voilà qu’au moment où les vins d’élite circulaient, où la gaieté semblait prête à naître, je sens comme un chat qui m’égratigne la jambe, puis une fraîcheur subite m’apprend que le petit révolté vient de déposer sur mon bas la portion de crème qui est restée après ses doigts. Jugez de mon humeur : je devais aller le soir au bal de la cour ; j’avais demandé à madame