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pour se faire inviter à venir dans sa loge le soir ; on veut être de ses dîners parce qu’ils sont bons, et de ses raouts parce qu’on est sûr d’y rencontrer les femmes à la mode, qui sont l’intérêt de chacun. Pour prix de ces plaisirs quotidiens, on laisse croire à madame de Raiseville qu’on l’adore, et comme elle n’exige aucune preuve de la passion qu’elle imagine, on la laisse jouir en paix du plaisir de la raconter.

Un jeune homme rêve-t-il à une jeune personne qu’il doit épouser ? « C’est à moi qu’il rêve, c’est moi qui le captive, pense-t-elle ; il ne sait comment s’y prendre pour me déclarer son amour. »

Un autre porte-t-il sur son visage l’empreinte du regret d’avoir perdu au jeu plus qu’il ne peut payer, il se meurt de jalousie pour elle ; enfin lui fait-on la confidence de son amour pour une autre, c’est une ruse pour se faire aimer d’elle. Rien ne déconcerte son imperturbable confiance en ses charmes ; elle a pourtant ri au théâtre de la Bélise de Molière ; mais le moyen de se reconnaître dans un personnage ridicule ? Et voilà le sublime du genre ; non-seulement vous avez tous les profits de votre ridicule, mais quel que soit le miroir qui le réfléchit, vous n’apercevez jamais